1. I.- Naissance d'un droit privé européen Il existe une façon de concevoir le droit, de le parler et de l'appliquer, grâce à un alphabet commun à l'Europe continentale. Ce fait a une double cause : la naissance, il y a plus de 2000 ans, d'une science juridique à Rome; sa renaissance dans l'Europe médiévale. 2. A.- Brève histoire du Droit romain a) ANCIEN DROIT
3. b) DROIT PRÉCLASSIQUE
4. c) DROIT CLASSIQUE
5. d) DROIT POSTCLASSIQUE
e) DROIT DE JUSTINIEN
6. B.- Renaissance du Droit romain Histoire d'un véritable miracle, puisque le droit d'un Empire mort se met à revivre et à s'étendre au-delà des frontières même de cet Empire et sans qu'il soit imposé par une conquête militaire. Cette histoire se déroule en cinq actes : 1er Acte : Haut Moyen-âge L'application et la connaissance du droit romain subissent un recul très sensible. Il reste appliqué aux sujets romains des royaumes barbares (en vertu du principe de la personnalité du droit). Les conquérants germaniques (Wisigoths, Ostrogoths, Vandales, Burgondes...) font rédiger des recueils sommaires où ce droit est réduit à ses rudiments. Exemple: la Lex Romana Wisigothorum, promulguée en 506 par Alaric II et intitulée aussi « Bréviaire d'Alaric ». En Italie même, Justinien rend le Corpus Iuris Civilis applicable en 554. Le Code, les Institutes et les Novelles resteront en vigueur même après les invasions lombardes (568). Sur le plan de la connaissance et de l'enseignement du droit, c'est partout le déclin. Exemple : en 990, dans la région de Toulouse, disparition du droit romain et clauses de « malédictions ». 7. 2ème Acte : du XIème au XIIIème siècle A Pise, en 1050, redécouverte du texte intégral du Digeste; il est étudié à l'Université de Bologne par Irnerius, qui en fait la base de son enseignement et fonde l'École des Glossateurs. Ceux-ci pratiquent la méthode exégétique, laquelle consiste à commenter les sources au moyens de gloses. L'oeuvre d'Irnerius fut poursuivie par ses disciples et terminée, avant le milieu du XIIIème siècle, par Accurse, qui résuma les travaux de ses prédécesseurs dans la « grande Glose » (glossa ordinaria : 96.000 gloses). Celle-ci reste, aujourd'hui encore, à la base de toute recherche en droit romain. Les Glossateurs connurent un succès remarquable : 10 000 étudiants en droit à Bologne au milieu du XIIème siècle ! Rentrés chez eux, ces étudiants tendirent à appliquer les principes appris à l'université plutôt que leur droit local. Certains d'entre eux enseignèrent à leur tour le droit romain dans les Universités qui sont fondées à cette époque : Exemples : 8. 3ème Acte : XIVème et XVème siècles Le droit romain, appliqué dans la pratique médiévale, devait être adapté aux nécessités économiques et sociales de l'époque. Ce sera l'oeuvre des Commentateurs, dont les exposés, plus systématiques, sont davantage utilisables par les praticiens du droit. Le plus célèbre d'entre eux est Bartole (1314 - 1357), qui eut comme disciple Balde (1327 - 1400). Leur succès est encore plus éclatant que celui des Glossateurs et leur méthode est adoptée dans les nombreuses universités qui apparaissent aux XIVème et XVème siècles. Exemples : Prague (1348); Heidelberg (1387); Louvain (1425). 9. 4ème Acte : la Renaissance Les Humanistes, parmi lesquels il faut mentionner Jacques Cujas (1522 - 1590), Hugues Donneau (1527 - 1591) et Denis Godefroy (1549 - 1622) ont eu pour premier souci de restituer au droit romain son authenticité, en utilisant les ressources de la philologie (notamment grecque) et de l'histoire. 10. 5ème Acte : du XVIIème siècle jusqu'aujourd'hui La réception du droit romain se poursuit dans la majeure partie de l'Europe continentale, où il est reconnu comme source du droit en vigueur, tout au moins à titre subsidiaire, jusqu'au moment où les Etats parviendront à la codification de leurs législations nationales. A ce sujet, deux exemples : En France, le Nord du pays est régi principalement par le droit coutumier, tandis que le Sud reste régi par le droit romain (région dite « de droit écrit »). Nombre de jurisconsultes étudient ainsi les deux systèmes : tels Charles Du Moulin (1500 - 1566) et Robert Joseph Pothier (1699 - 1772). Ce dernier a exercé une influence prépondérante sur la rédaction du Code civil de 1804 (Code Napoléon), lequel est le fruit d'une transaction entre les droits romain et coutumier (ainsi que l'atteste Portalis dans le « Discours préliminaire au projet de Code civil »). En Allemagne, les multiples droits locaux ne pouvaient résister à l'attrait d'un droit prestigieux et perfectionné. Aussi le droit romain était-il devenu le « droit commun » en vigueur dans de larges parties de l'Allemagne. En outre, l' « Ecole historique », fondée par Friedrich Carl von Savigny (1779 - 1861), donne à l'étude du droit romain une nouvelle impulsion (« seconde réception du droit romain »). Il faut mentionner aussi Rudolf Jhering (1818 - 1892) et la pléiade de professeurs de droit romain (appelés les « Pandectistes ») qui jalonnent le XIXème siècle et exerceront une influence capitale sur la rédaction du Code civil allemand (« Bürgerliches Gesetzbuch ») entré en vigueur en 1900 et qui contient, pour moitié environ, du droit romain classique. Mentionnons enfin le Code civil italien de 1942, où l'influence romaine reste prépondérante. 11. CONCLUSIONS Le droit romain nous informe sur le contenu de multiples institutions juridiques des droits privés contemporains de l'Europe continentale et des nombreux autres Etats qui se sont inspirés de ses traditions. Il constitue ainsi leur commun dénominateur. épilogue Aujourd'hui, le droit romain se porte bien, puisqu'il résiste mieux à l'épreuve du temps que les droits coutumiers, qui sont pourtant d'origine plus récente. Il pourrait encore jouer un rôle non négligeable dans les tentatives de réunification des droits nationaux que de bons esprits souhaitent, en Amérique latine comme en Europe. 12. II.- Naissance d'une science : De même que les Grecs ont découvert la géométrie (avec Pythagore, Euclide), les Romains ont inventé la science juridique, en mettant d'abord au point ce que Jhering a appelé l' « alphabet du droit ». Pourquoi sont-ils les inventeurs du droit en tant que science et quelles seront les conséquences de leurs découvertes ? Telles sont les deux questions auxquelles on va s'efforcer de répondre. A.- CAUSES 1) Caractère laïc du Droit romain Dès l'origine, on ne trouve pas, à Rome, de divinité incarnant la Justice (comparer la déesse Thémis en Grèce). De même le premier monument juridique est-il une oeuvre humaine : la loi des XII Tables, rédigée par les Décemvirs. On peut ainsi affirmer que : a) Les lois romaines sont laïques Elles se différencient fondamentalement de nombreux systèmes juridiques « pré-romains » ou « para-romains », tels par exemple : 1.- les règles de conduite des sociétés traditionnelles, lesquelles « refusent au Droit des sanctions autonomes, empêchant ainsi la constitution d'un champ juridique indépendant d'autres mécanismes de régulation tels que la morale, la magie, la religion, la croyance en de possibles interventions de l'ordre naturel et cosmique... » (Rouland). 2.- les lois hébraïques, qui « non seulement (...) sont une émanation divine, mais (...) constituent encore une partie intégrante de l'Alliance que Dieu a conclue avec son peuple. » (Sturm). 3.- les lois de l'Islam, pour lequel « non seulement toute loi vient de Dieu, mais il n'est, en rigueur de terme, d'autre législateur temporel que Dieu (...). La raison humaine » étant là « simplement pour déceler la volonté divine; n'ayant aucune efficacité intrinsèque, elle n'y peut rien ajouter. » (El Shakankiri). b) Les juristes romains sont laïcs Dès l'ancien droit romain, la répartition des tâches est opérée entre les domaines de
Et dès lors, ce Droit : - peut être critiqué sans que ces critiques apparaissent comme des sacrilèges; 13. 2) Caractère scientifique de l'étude du Droit romain a) il y a des écoles de droit... A l'époque préclassique : Remarque : Importance des « professeurs » pour la création et le développement d'une science véritable. ...indépendantes du pouvoir... Importance de la « liberté académique » pour le développement d'une science. Exemple : Labeo, opposé au pouvoir d'Auguste. 14. b) qui procèdent selon une méthode analytique : Car toute science commence par l'analyse des phénomènes observés. Ainsi que l'écrira bien plus tard Descartes dans ses préceptes : il convient « de diviser chacune des difficultés (...) en autant de parcelles qu'il se pourrait, et qu'il serait requis pour les mieux résoudre. » Ainsi, les Romains ont non seulement réparti les phénomènes sociaux entre la religion, la morale et le droit, mais ont poursuivi leur effort d'analyse à l'intérieur du droit lui-même. Exemples : 1.- FAIT ≠ DROIT Ainsi la possession, état de fait, est-elle distincte du droit de propriété. Remarque: cette distinction est toujours actuelle : certaines juridictions s'occupent exclusivement de questions de droit, d'autres uniquement de questions de fait. 15. 2.- DROIT PUBLIC ≠ DROIT PRIVÉ Ulpien ( au livre 1er de ses Institutes), Digeste, Livre 1,Titre 1, fr.1 § 2 : Il y a deux branches dans l'étude du droit, le droit public et le droit privé. Le droit public est relatif à la structure de l'Etat romain; le droit privé concerne les intérêts des particuliers: il existe en effet des choses qui sont d'intérêt public et d'autres, d'intérêt privé. Remarque : cette distinction est toujours actuelle : certaines juridictions s'occupent du droit public, d'autres du droit privé. 16. 3.- DROIT PRIVÉ : Selon la systématique du droit établie par les « Institutes » de Gaius, le droit privé est ordonné selon une tripartition : a) Personnes = Sujets de droit A l'intérieur de ce plan, de nouvelles distinctions seront opérées. Ainsi : b) Choses = Objets de droit :
Contrats Gaius, Institutes, 3, 136 : 17. B.- EFFETS En décomposant les phénomènes juridiques en leurs éléments premiers, les Romains sont parvenus à la : DÉCOUVERTE DES CORPS SIMPLES : les lettres de l'ALPHABET DU DROIT Exemple : le prêt à intérêt se décompose en : a) un mutuum : prêt gratuit; De même, sur le plan de la procédure : DÉCOUVERTE DES ACTIONS SIMPLES : UN SEUL EFFET par procès. Exemple : en cas de mutuum dont l'emprunteur ne rembourse pas le prêt : un procès régi par la formule de la condictio (action personnelle): « Que Caius soit juge.- S'il apparaît que Numerius Negidius doit verser à Aulus Agerius la somme de 10.000 sesterces, juge, condamne Numerius Negidius à 10.000 sesterces envers Aulus Agerius; sinon, absou. » Remarques: a) Deux solutions sont concevables : la condamnation ou l'absolution. Il n'y en a pas de troisième. C'est une illustration de l'adage « dura lex, sed lex » ! 18. 2) Plasticité des structures juridiques Les mêmes outils peuvent servir à de multiples usages. Exemple : la stipulatio peut être utilisée pour : a) prévoir les intérêts d'un prêt, mais aussi Remarque : Cette délégation sert toujours aujourd'hui à expliquer le fonctionnement des cartes de crédit et des cartes de paiements électroniques (Mersch). 19. 3) Économie des moyens utilisés La simplicité et la plasticité des structures juridiques permet de réduire au minimum le nombre des : a) institutions juridiques Exemple : le contrat de locatio-conductio (louage) se définit comme un : « Contrat par lequel une personne promet à une autre de lui fournir la jouissance d'une chose (locatio rei, louage de chose) ou ses services (locatio operarum, contrat de travail) ou bien d'exécuter un ouvrage déterminé (conductio operis faciendi, contrat d'entreprise), moyennant un prix, fixé en principe en argent, que s'engage à lui verser l'autre partie. » Il réalise ainsi à lui seul l'équivalent de trois institutions devenues totalement distinctes dans nos droits contemporains (voir plus de développements infra, cinquième exposé). b) lois et édits des magistrats : Les sources formelles du droit demeurent, dans le domaine du droit privé, relativement restreintes en nombre et en volume. Cette caractéristique est diamétralement opposée à la prolifération législative actuelle, que dénonçait déjà au siècle dernier Rudolf Jhering : « une jurisprudence qui ignore (le principe d'économie), c'est-à-dire qui ne sait pas économiser les matériaux, est écrasée sous leur masse toujours croissante et succombe sous le poids de sa propre richesse. » 20. C.- CONCLUSIONS L'ensemble du processus aboutit à : 1.- Une certaine conception du DROIT : « IUS EST ARS BONI ET AEQUI », c'est-à-dire : ARS : ce qui s'apprend, pour être mis en pratique. E.LITTRÉ, « Dictionnaire de la langue française », v° équité : Il s'agit d'un équilibre entre les intérêts en présence, équilibre à réaliser par le législateur . « 2° La justice naturelle, par opposition à la justice légale. (...) Il s'agit ici d'un sentiment humanitaire que peut éprouver le juge. Cette deuxième acception est d'origine chrétienne, ainsi que l'atteste une Constitution de l'empereur Constantin (C. 3, 1, 8). La prépondérance de cette « équité-indulgence » dans la solution des conflits a donné, dans l'Histoire, des résultats mitigés, en raison du risque d'arbitraire qu'elle entraîne (Tunc). Aussi faut-il préférer la première acception du mot : « équité-égalité », d'autant plus que ce concept contient en germe celui d'égalité de droit des hommes, telle qu'elle sera prônée par la Révolution française de 1789 (Coing). 21. 2.- Une certaine conception du JURISTE : Celui-ci doit se concevoir comme une espèce de médecin des rapports sociaux, qui se rend utile à la population, et non comme le « déconseilleur » qu'une certaine tradition médiévale nous a légué. 22. III.- Histoire de la propriété privée Cette histoire est essentiellement romaine, ce qui justifie son insertion dans cette série d'exposés. La problématique de la propriété présuppose nécessairement un propriétaire qui n'est pas content de son sort. Donc, bien souvent, qui n' « a » pas sa propriété. C'est dès lors que quelqu'un d'autre l' « a », c'est-à-dire en est « possesseur ». On retrouve ainsi une distinction fondamentale opérée par les Romains (grâce à leur sens de l'analyse) entre le Droit et le Fait, en l'occurrence, entre la Propriété et la Possession. Cette distinction constituera le préliminaire à l'étude du contenu du droit de propriété proprement dit. A.- DISTINCTION PRÉLIMINAIRE ENTRE « FAIT » ET « DROIT » Après avoir étudié les notions de possession et de propriété, il faudra examiner brièvement les passerelles qui peuvent exister entre elles et qui permettent de convertir la possession en propriété. 1.- Le FAIT de la POSSESSION La possession est une apparence, c'est-à-dire le fait d' « apparaître » comme le propriétaire d'un bien. Cette apparence, l'ordre juridique va la protéger, en tant que telle et tout au moins provisoirement. Pourquoi ? Dans quelle mesure et par quels moyens ? Voilà les trois questions auxquelles il convient tout d'abord de répondre. 23. a) FONDEMENT DE LA PROTECTION 1°- Dans une société ordonnée, l'apparence correspond le plus souvent au droit : l'énorme majorité des possesseurs sont effectivement propriétaires de ce qu'ils possèdent. 2°- Dans les cas exceptionnels où il y a discordance entre fait et droit, c'est-à-dire lorsque le possesseur n'est pas propriétaire, il ne conviendrait pas que le vrai propriétaire reprenne son bien par la force, car « nul ne peut se faire justice à soi-même ». Cet adage « nul ne peut se faire justice à soi-même » constitue une étape fondamentale dans l'établissement de « l'État de droit », où les conflits sont tranchés par une autorité supérieure. On trouve un vestige de cette étape dans l'ancienne procédure romaine de la revendication, la legis actio sacramento , l'action de la loi par le serment, décrite comme suit par Gaius (4, 16) : « Le revendiquant tenait une baguette; puis il saisissait l'objet du litige – mettons un esclave – et disait : « J'affirme que cet esclave m'appartient en vertu du droit des Quirites (= les anciens Romains). Selon l'attribution en propriété dont il est l'objet, comme j'ai dit, je t'ai imposé la baguette ». En même temps, il touchait l'esclave de sa baguette. Son adversaire prononçait les mêmes paroles et faisait les mêmes gestes. Quand chacun d'eux avait revendiqué, le préteur disait : « Lâchez tous les deux l'homme ». Ils le lâchaient (...) ». C'est ainsi qu'était symbolisé l'abandon du stade antérieur de civilisation où les conflits étaient réglés par le recours à la vengeance privée. 24. b) CHAMP DE LA PROTECTION Il ne peut être question de protéger tous les possesseurs. Ceux-ci se subdivisent en deux catégories : 1.- les possesseurs sans animus domini (= sans « volonté de se considérer comme propriétaire ») : n'ayant pas l'intention de devenir propriétaire (comme par exemple le locataire), il leur suffira, s'ils sont troublés dans leur détention, de s'adresser au propriétaire du bien. 2.- les possesseurs animo domini sont, eux, dignes de protection. Il faut observer qu'ils sont de trois catégories : a) ceux qui se veulent propriétaires et le sont effectivement : ils sont évidemment dignes de protection; b) ceux qui se veulent propriétaires mais ne le sont pas, tout en croyant de bonne foi qu'ils le sont (exemple : l'héritier qui de bonne foi croit que tous les livres trouvés dans la bibliothèque de son père défunt appartenaient réellement à ce dernier, alors que certains lui avaient été prêtés) : ils sont également dignes de protection, au moins provisoirement. c) ceux qui, de mauvaise foi, se veulent propriétaires mais ne le sont pas et qui le savent (exemple : le voleur) : ils restent néanmoins dignes de protection car sinon un tiers pourrait s'emparer par violence du bien volé en arguant du manque de protection de ce voleur : ce serait revenir à la loi du plus fort, incompatible avec un « État de droit ». Toutefois, une exception doit être réservée dans ce troisième cas, pour le cas où le conflit se situerait entre le voleur et le propriétaire volé : il est évidemment nécessaire de donner alors la préférence au volé. 25. c) MOYEN DE PROTECTION On protège les possesseurs au moyen d'INTERDITS : décision d'autorité prise par le magistrat en dehors d'une instance judiciaire, lorsque le règlement du conflit lui paraît requérir une mesure urgente : il donnera, par exemple, l'ordre à celui qui trouble la possession de cesser ce trouble. La plupart du temps, celui à qui s'adresse cet ordre s'inclinera devant lui et le but sera atteint. Sinon, une instance judiciaire normale devra être engagée où l'on examinera le fond du problème : c'est la revendication (v. infra). 26. 2.- Le DROIT de PROPRIÉTÉ a) FONDEMENT DE LA PROTECTION Le fondement est de prime abord évident : il s'agit de protéger le droit du propriétaire (sur la légitimité de ce droit, v. infra les conclusions). b) CHAMP DE LA PROTECTION Bénéficie de la protection de son droit le propriétaire, mais pour autant qu'il soit Romain. Pour les non-Romains, c'est-à-dire en gros, les peuples vaincus, la protection est beaucoup plus fragile (v. infra la propriété provinciale). Il y a là une marque évidente d'impérialisme juridique. c) MOYEN DE PROTECTION C'est la REVENDICATION (rei vindicatio), par laquelle le préteur enjoint au juge d'examiner « s'il est prouvé que la chose réclamée par le demandeur (Aulus Agerius) lui appartient en vertu du droit des Quirites ». Auquel cas il doit condamner le défendeur (Numerius Negidius) soit à la restituer, soit à en fournir la contre-valeur. Remarque : les possesseurs sont ainsi doublement avantagés : 27. 3.- Les PASSERELLES entre POSSESSION et PROPRIÉTÉ Dans deux hypothèses, un possesseur peut devenir propriétaire : a) L'USUCAPION Pour prouver son droit de propriété, l'acquéreur d'un bien devrait en théorie démontrer qu'il tient ce bien de quelqu'un qui était lui-même propriétaire (car personne ne peut transmettre plus de droit qu'il n'en a lui-même), lequel le tenait de quelqu'un qui était lui-même propriétaire (pour la même raison), lequel le tenait lui-même de quelqu'un qui était propriétaire, etc. Cette preuve, impossible à établir, était dénommée au Moyen-âge probatio diabolica (preuve diabolique). Pour éviter ce régime compliqué de preuve, la Loi des XII Tables prévoyait déjà que : « Usus auctoritas fundi biennium, ceterarum rerum annus esto », ce qui signifie que pendant deux ans pour les fonds de terre et un an pour les autres choses, le possesseur devait, en cas de contestation, faire appel à celui de qui il tenait le bien pour que celui-ci le protège. A contrario, après ces délais, c'est la loi elle-même qui protégeait le possesseur en le rendant légalement propriétaire. Bref, la possession d'une chose pendant un an ou deux constituait une preuve suffisante de la propriété. Toutefois, cette protection ne jouait pas : - pour les choses volées, qui peuvent être éternellement revendiquées; 28. b) La PRESCRIPTION EXTINCTIVE (PRAESCRIPTIO LONGI TEMPORIS) Une idée grecque est ici à l'origine de l'institution : le propriétaire qui néglige son droit pendant longtemps ne mérite plus de protection : au bout de 10 ou 20 ans, puis (comme aujourd'hui dans de nombreux pays) 30 ans de possession ininterrompue, le possesseur l'emportera sur le propriétaire. Il faut remarquer que cette règle : - peut jouer également pour les choses volées; 29. B.- CONTENU DU DROIT DE PROPRIÉTÉ 1.- Propriété QUIRITAIRE (romaine) a) DÉFINITION C'est l'une des formes du pouvoir absolu dont était investi le paterfamilias sur les personnes (droit de vie et de mort, droit de vendre) et les biens familiaux. C'est donc en principe le pouvoir de tout faire... Ce « tout » peut se décomposer en 9 prérogatives : - user (uti), retirer les fruits (frui) et détruire ou disposer (abuti); - ne pas uti, frui, abuti ; - empêcher les autres d' uti, frui, abuti . Remarque: empêcher « tous les autres », car le droit de propriété peut être opposé à tout le monde : c'est un droit absolu (tandis que le droit de créance ne peut être invoqué que vis-à-vis du débiteur : c'est un droit relatif). 30. b) LIMITES Elles furent nombreuses, dès l'ancien droit romain. Notamment : 1.- Ne pas modifier l'écoulement naturel de l'eau de pluie. Remarques: Code Théodosien, 10, 19, 1 : Nous accordons la faculté à ceux qui le veulent d'extraire des pierres de n'importe quelle carrière, de telle sorte que ceux qui auront décidé d'arracher du minerais et d'en faire un usage quelconque, auront même le libre pouvoir de le vendre. b) sur-sol : en vertu du principe de l'accession (« superficies solo cedit ») tout ce qui est incorporé au sol appartient au propriétaire de la surface, lequel a également la libre disposition de la colonne d'air surplombant cette surface. Jusqu'où ? jusque là où il était matériellement possible d'accéder. Remarque : les Glossateurs ont généralisé la règle au Moyen-âge en disant : propriété du sur-sol usque ad coelum (jusqu'au ciel) ! Cette extension, prétendument inspirée du droit romain, a suscité de nombreux conflits à l'époque contemporaine, avec pour « résultat de mettre les armes de la loi dans les mains de la chicane, de fomenter l'esprit procédurier et d'établir les voisins sur le pied de guerre » (Jhering), alors que le droit est fait, par nature, pour aplanir les conflits et non pour les susciter. 31. 2.- Propriété PROVINCIALE a) DÉFINITION La « propriété provinciale » n'est pas un droit véritable, mais une permission, d'avoir, de posséder et de retirer les fruits. Ces termes vagues et flous contrastent avec la rigueur du droit de propriété des Romains. Encore cette permission n'est-elle accordée aux Provinciaux que sous conditions : 1.- de payer un loyer au propriétaire, c'est-à-dire l'État romain; [b) LIMITES Les mêmes que celles imposées aux propriétaires Romains, mais avec en outre l'obligation de payer un loyer et le risque d'être expulsé.] 32. 3.- Suite de l'Histoire de la propriété a) Sous Justinien, on réunifie les deux propriétés quiritaire et provinciale, mais entre-temps, une nouvelle forme d'appropriation des terres a fait son apparition, l'emphytéose, en tant que « propriété » de second rang. b) Au Moyen-âge, on assiste à un fourmillement de nombreux types de droits, notamment immobiliers, auxquels il sera mis fin lors de la Révolution française. c) Le Code Napoléon et la plupart des législations européennes ont repris la notion romaine de propriété : « Article 544.– La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. » d) Toutefois, lorsqu'il s'agit des colonies, on retrouve une deuxième forme de propriété : Exemples : 1.- Législation du Congo belge : DÉCRET du Roi-Souverain du 3 juin 1906 portant régime des terres indigènes : Préambule : (...) les terres occupées par des populations indigènes (...) continueront d'être régies par les coutumes et les usages locaux. Article 1er.– Sont terres occupées par les indigènes, aux termes des dispositions précitées, les terres que les indigènes habitent, cultivent ou exploitent d'une manière quelconque conformément aux coutumes et usages locaux. Cependant : « Les droits coutumiers des indigènes sur les terres ne sont reconnus par la loi que dans la mesure où ils s'accompagnent d'une occupation effective ou à considérer comme telle par l'administration » (Cour d'appel d'Elisabethville, 5 juillet 1955, R.J.C.B., 1955, p.349). 2.- Législation d'Afrique Occidentale française : DÉCRET du 8 octobre 1925 instituant un mode de constatation des droits fonciers des indigènes en Afrique occidentale française : Article 1er.– (...) les détenteurs ont la faculté de faire constater et affirmer leurs droits au regard de tous tiers (...). Cependant : Article 5.— Le titre ainsi obtenu (...) vaut tant que dure l'occupation effective du bénéficiaire ou de ses ayants-droit.(...). Ainsi ces propriétés étaient-elles subordonnées à une occupation effective, ce qui implique que leurs titulaires n'avaient pas le droit de « ne pas user » (uti) de la « propriété » qui leur était reconnue. 33. C.- En guise de CONCLUSION : LA PROPRIÉTÉ, EST-CE LE VOL ? I.- Initialement, c'est bien possible : les peuples traditionnels ignorent généralement le concept de transfert des terres entre vifs : « La sacralité de la terre et la nécessité de la transmettre intacte des morts aux vivants ainsi qu'aux générations à venir ont souvent été invoquées pour justifier l'idée que la terre est inaliénable (...) ». « (...) A l'intérieur du groupe (...) la circulation de la terre est (...) possible (...) » mais « A l'extérieur du groupe s'applique le principe d'exo-intransmissibilité (...) » (Rouland). Connaissent-ils le transfert des meubles ? A cause de mort, certes, mais pas nécessairement entre vifs. On peut voir un indice en ce sens dans la manière dont les Anciens Romains transféraient la propriété des choses importantes (res mancipi) au moyen de la mancipatio : Gaius, Institutes,1,119 : « (...) En présence d'au moins cinq témoins citoyens pubères et d'une autre personne de même condition, qui tient une balance de bronze et qu'on appelle libripens (peseur), celui qui reçoit par mancipatio, tenant une pièce d'airain, dit: « J'affirme que cet homme m'appartient en vertu du droit des Quirites : qu'il me soit acquis par cette pièce d'airain et cette balance de bronze ». Puis il frappe la balance avec la pièce d'airain, qu'il donne en guise de prix à celui duquel il reçoit par mancipatio.(...) Il est nécessaire que celui qui a reçu par mancipatio puisse saisir l'objet même qui lui est mancipé (...). Au contraire, les biens-fonds sont d'habitude mancipés en leur absence. » De cette description on peut tirer deux conjectures : a) Rien ne paraît prévu dans ce rituel pour le transfert des immeubles; b) quant au transfert des meubles, étant donné le rôle passif du « vendeur », le rituel ressemble plus à un simulacre de vol avec paiement à l'avance de la rançon (dont l'acceptation par la victime du vol imminent implique qu'elle renonce à se venger) qu'à une convention de vente librement négociée par les deux parties. II.- Dans la suite de l'évolution et en droit romain toujours, Gaius enseigne à ses étudiants, à propos de la legis actio sacramento (voir supra), que : Gaius, Institutes, 4, 16 : « (...) On se servait d'une baguette en guise de lance, comme symbole de juste propriété, parce qu'on estimait que la propriété la plus sûre était le butin pris à l'ennemi (...) ». III.- Depuis lors, le droit de propriété a connu encore bien des vicissitudes : il suffit de rappeler la législation révolutionnaire de Constantin en matière de carrières, pour observer avec Friedrich Engels qu' « en fait, depuis la première jusqu'à la dernière des « révolution politiques », elles ont toutes été faites pour la défense d'un genre de propriété et accomplies par la confiscation, autrement dit le vol, d'un autre genre. Tant il est vrai que, depuis deux mille cinq cents ans, la propriété privée n'a pu être maintenue qu'en violant la propriété ». En définitive, si toute propriété n'est évidemment pas le résultat d'un vol, l'histoire du droit de propriété montre cependant clairement que ce droit n'a jamais été ni unique, ni illimité, ni intangible, et encore moins sacré... Elle est, en bref, une création de l'esprit humain. 34. IV.- Histoire de la responsabilité 1ère partie : droit romain PRÉAMBULE : RESPONSABILITÉ CIVILE et non pénale ni politique car insérée dans une «Introduction aux droits privés européens ». Responsabilité civile = « fait pour quelqu'un de risquer d'être condamné parce que quelqu'un d'autre a subi un « désagrément » ». Le coupable est alors le plus souvent condamné à « réparer » le dommage. Mais est-ce bien « réparer » ? N'est-ce pas plutôt, très souvent, « déplacer » le dommage ? Et quel sens y a-t-il à le « déplacer », plutôt que de le laisser là où il est (cf. Job) ? Quoiqu'il en soit, dans notre culture juridique, ce phénomène peut survenir entre deux personnes qui n'ont aucun lien antérieur entre elles : on parle alors de responsabilité délictuelle. Il peut aussi survenir entre des personnes qui ont conclu un accord entre elles et il s'agit alors de responsabilité contractuelle. Le plan est ainsi tout tracé: 35. 1.- RESPONSABILITÉ DÉLICTUELLE Pour comprendre notre système juridique, il est utile de le comparer à d'autres, à la fois sur le plan A.- Droits « pré-romains » ou « para-romains » I.- EXEMPLES : 1.- Droit oriental antique : Sumer : principe de responsabilité : Codex Lipit-Ištar (1934 - 1924 av. J.-C.): « Si un homme tue un autre homme, il sera tué. » : c'est la loi du Talion, dont l'objectif est une limitation du droit à la vengeance (pour un oeil, rien qu'un oeil !). Remarque : La loi du Talion est également proclamée dans le Coran, II, 178: « Ô vous qui croyez ! La loi du talion vous est prescrite en cas de meurtre; l'homme libre pour l'homme libre; l'esclave pour l'esclave; la femme pour la femme »; elle est toujours appliquée, selon des modalités diverses, en droit musulman actuel (Milliot et Blanc). 2 - Droits traditionnels africains: 1) Bantou : conditions de la responsabilité: a) « Lorsque l'infraction a été commise (...) par un membre d'un groupe au détriment d'un membre d'un autre groupe, le groupe lésé se fera justice sur le groupe du délinquant. (...) Si par exemple un membre du groupe A a tué un membre du groupe B, l'expédition guerrière détruira les champs, fera périr les hommes, mettra le feu aux huttes. Ayant fait des captifs, elle les maltraitera, les exécutera peut-être. C'est le châtiment, la vengeance, indépendante de la réparation. » (Sohier, p.102 s.). b) « Lors d'une chasse collective, un jeune enfant se dissimule avec une réelle imprudence dans un buisson se trouvant sur la ligne de tir. Un chasseur voit remuer le buisson, lance une flèche et tue le gamin. (...) Le chasseur sera condamné comme responsable de la mort de l'enfant (...) » (Sohier, p.97). 2) Nuer: effets de la responsabilité : a) « Lorsqu'un homme en a tué un autre, il doit immédiatement se rendre auprès du chef qui entaille son bras de manière à ce que le sang puisse couler (...). Si, comme cela est ordinairement le cas, il craint la vengeance, il reste chez le chef, car la demeure du chef est un sanctuaire. Au cours des mois qui suivent, le chef engage les parents du meurtrier à se préparer à payer une compensation, afin d'éviter les représailles et persuade les parents de la victime d'accepter la compensation (...). Le chef rassemble alors le bétail – quarante à cinquante têtes encore tout récemment – et les conduit à la demeure du mort où il accomplit de nombreux sacrifices de purification et de réconciliation. Telle est la procédure qui permet de régler les graves différends. ». b) « Lorsqu'un homme tue un proche parent, l'affaire est rapidement terminée par le paiement d'une compensation, souvent réduite, aussi rapidement offerte qu'acceptée. En effet, lorsqu'un homicide se produit dans un village, l'opinion générale exige un règlement rapide, car il est évident aux yeux de chacun que si la vengeance était tolérée, la vie communautaire serait impossible. » (Fortes et Evans-Pritchard, p.251 ss.). II.- CARACTÉRISTIQUES COMMUNES a.- relatives au système juridique en général 1 - Aspects religieux. b.- relatives à la responsabilité en particulier 1 - Règlement différent à l'intérieur et à l'extérieur du clan. 36. B.- Droit romain I.- ANCIEN DROIT a) Certaines des caractéristiques vues se retrouvent dans l'ancien droit romain, et notamment: 1.- Règlement différent à l'intérieur et à l'extérieur du clan. b) Mais des caractéristiques propres apparaissent: 1.- Aspects religieux : le règlement est désormais laïc. 37. II.- DROIT CLASSIQUE - EXEMPLE 1 : Les lanceurs de javelots Ulpien (au livre 18 sur l'Edit),D.9,2,9,4 : « Il y a lieu à l'action de la lex Aquilia dans le cas où un esclave est tué par des gens qui lancent des javelots pour se divertir. Mais l'action cesse si ces gens s'exerçaient sur un terrain d'entraînement et que l'esclave ait traversé ce terrain, parce qu'il ne devait pas passer de manière intempestive. Toutefois, celui qui aura lancé un javelot sur lui à dessein sera en toute hypothèse tenu par la Lex Aquilia. » CARACTÉRISTIQUES : 1 - Règlement en principe indépendant des liens personnels. La règle est désormais (comme dans notre actuel article 1382 du Code civil) que « tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui, par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ». 2 - Responsabilité individuelle. Non seulement la responsabilité n'est plus collective, mais dès la République, l'action délictuelle est considérée comme intransmissible à cause de mort. 3 - Règlement en principe par des dommages-intérêts. 4 - Responsabilité basée sur la faute (+ dol). C'est à propos de cette 4ème caractéristique que le droit romain a réalisé son apport le plus important à notre culture juridique européenne : le dommage à lui seul ne suffit plus à engendrer la responsabilité : il faut qu'il ait été engendré par un acte fautif. L'idée se trouve déjà dans une loi du deuxième roi de Rome, NUMA POMPILIUS, parlant de l'homicide causé « dolo sciens », c'est-à-dire volontairement. Mais dès la LOI DES XII TABLES (8, 24), on va plus loin en considérant qu'une faute involontaire peut suffire à engager la responsabilité : comme d'habitude, cette loi s'exprime de manière imagée : « il y aura lieu à sacrifice », prévoit-elle, « si le javelot s'est enfui de la main plus qu'il n'a été lancé ». Dans la suite on proclamera que dans l'application de la lex Aquilia, « et culpa levissima venit » : même la faute la plus légère engage la responsabilité. Cette irruption de la faute dans le domaine de la responsabilité constitue une des découvertes les plus importante dans l'histoire de l'humanité (Jhering). Mais dès lors que les fautes peuvent être plus ou moins graves, il convient de tenir compte de leur gravité. C'est ainsi, dans l'exemple des lanceurs de javelots, que la faute volontaire de celui qui lance un javelot à dessein éclipse la faute plus légère de l'esclave qui traverse le terrain. On en arrive ainsi tout naturellement à se poser le problème des concours de fautes, tel qu'il apparaît dans le deuxième exemple : 38. - EXEMPLE 2 : Le barbier égorgeur Ulpien (au livre 18 sur l'Édit), D. 9, 2, 11 pr. : « Mela donne un autre exemple : des gens jouaient au ballon et l'un d'eux, ayant frappé le ballon assez (trop ?) violemment, le projette sur la main d'un barbier, lequel rasait justement un esclave dont la gorge est ainsi tranchée : est tenu par l'action de la Lex Aquilia celui d'entre eux à qui on peut imputer une faute. Proculus pense que le barbier est en faute. Effectivement, s'il rasait sur une place où l'on a coutume de jouer, ou bien sur laquelle il y a un va-et-vient intense, on peut le lui imputer; quoique l'on puisse prétendre aussi, sans que ce soit à tort, que celui qui se confie à un barbier qui a établi son siège dans un endroit dangereux ne doit s'en prendre qu'à soi-même. » Les solutions données à cet anodin fait divers contiennent, au moins en germe, les théories les plus modernes en matière de responsabilité: THÉORIES ESQUISSÉES : 1.- Théorie de l'équivalence des conditions, selon laquelle « tous les événements qui ont concouru à la réalisation d'un préjudice en sont (...) tous les causes; tous, au point de vue de la responsabilité, sont équivalents » (H.,L.et J. Mazeaud et A. Tunc, n°1440, p. 530) : théorie que ne semble pas désavouer le jurisconsulte Mela :« est tenu par l'action de la Lex Aquilia celui d'entre eux à qui on peut imputer une faute »); 2.- Théorie de la causalité adéquate, selon laquelle « seuls peuvent être considérés comme causes d'un préjudice les événements qui devaient normalement le produire (...) suivant le cours naturel des choses ». Il faut donc éliminer les circonstances « qui ne sont devenues « conditions du dommage » que par suite de « circonstances extraordinaires » », et ne retenir que « les antécédents qui, d'après le cours normal et ordinaire des choses, apparaissent comme de nature à produire des dommages de cette sorte » (Mazeaud et Tunc, n°1441,p.530) : et c'est bien ce que paraît penser le jurisconsulte Proculus qui retient la responsabilité du barbier, qui « rasait sur une place où l'on a coutume de jouer », mais exonère en revanche le lanceur du ballon : lancer un ballon, même « trop violemment », a rarement comme conséquence qu'un spectateur soit égorgé ! 3.- Théorie de la causa proxima, qui consiste « à retenir seulement (...) l'antécédent le plus proche du dommage », pour le motif que « jusqu'au dernier moment, tant qu'il manque un dernier élément déterminant, les choses demeuraient en équilibre et (...) il n'y avait point de dommage » (Marty et Raynaud, p.685) : et c'est peut-être aussi ainsi que réfléchissait Ulpien, pour qui c'est l'esclave lui-même qui a causé la dernière faute en se confiant « à un barbier qui a établi son siège dans un endroit dangereux ». 4.- Clause de non-responsabilité : à moins qu'en estimant que cet esclave « ne doit s'en prendre qu'à soi-même », il n'ait voulu dire que le barbier n'avait dû consentir à raser son client dans un endroit aussi dangereux qu'en se faisant consentir au préalable une clause de non-responsabilité (Marty et Raynaud, p.771 ss.). 39. 2.- RESPONSABILITÉ CONTRACTUELLE Inutile de remonter plus loin dans l'espace ou le temps: le droit romain lui-même a suffisamment évolué depuis l'époque de ses débuts pour nous faire comprendre l'évolution. Car qui dit « responsabilité contractuelle » dit naturellement « contrat ». Et toute une évolution s'est manifestée, dans le seul droit romain, à propos de la conception même du contrat. A.- Ancien droit romain EXEMPLES ET CARACTÉRISTIQUES: 1.- STIPULATIO A ce contrat, conclu sous la forme d'une interrogation suivie d'une réponse rigoureusement conforme, s'appliquait – comme à beaucoup d'autres – le principe de la Loi des XII Tables (6, 1): « Comme il aura déclaré avec sa langue, qu'ainsi soit le droit ». Étaient ainsi exprimées les conceptions de l'ancien droit sur : a) le contrat de droit strict, qui n'oblige qu'à ce qui y est strictement exprimé; 2.- MANCIPATIO On a déjà rencontré ce procédé solennel d'aliénation des choses importantes, qui se pratiquait en présence de cinq témoins et d'un porteur de balance. Il illustre bien : d) le formalisme contractuel qui régnait à l'époque de l'ancien droit romain. 3.- NEXUM Ce prêt de lingot se réalisait selon le même formalisme que la mancipatio; simplement la formule différait et consistait, en substance, à déclarer que si l'emprunteur ne remboursait pas les lingots à la date prévue, il se trouverait à la disposition du prêteur, dans un état de servitude proche de l'esclavage. Le contrat pouvait donc être : e) exécutoire sans intervention de la justice. Il faut enfin ajouter que, dans ce cas comme dans bien d'autres, il pouvait y avoir une f) responsabilité sans faute (responsabilité objective). 40. B.- Droit romain classique CARACTÉRISTIQUES DIAMÉTRALEMENT INVERSES :
Gaius, Institutes, 4, 116 a : « Exemple : j'ai stipulé de toi le remboursement d'une somme que je t'avancerai et je ne t'en ai pas crédité : cet argent, il est certain que je pourrai te le réclamer et tu devras me le donner, obligé que tu es par la stipulation; mais comme il serait inique de te condamner à ce titre, on décide que tu pourras te défendre par l'exception de dol malicieux. »
même exemple.
Papinien (au livre 2 des Réponses), D. 50, 16, 219 : « On a admis que dans les conventions il convenait de considérer davantage l'intention des parties contractantes que les termes de la convention. » Admission également des « erreurs-obstacles » (erreur sur la convention elle-même « in negotio » et sur l'objet de la convention « in corpore »).
Gaius : Institutes, 3, 136 : « On dit que les obligations de ce genre se contractent par consentement mutuel, parce qu'elles n'exigent ni paroles, ni écrits spéciaux, et qu'il suffit que ceux qui concluent soient d'accord. Il en résulte que de telles affaires se traitent même entre absents, par exemple par lettre (...), alors qu'une obligation verbale (comme la stipulatio) ne peut se former entre absents. »
Abolition du nexum.
41. RESPONSABILITÉ - DOL: inexécution volontaire Exemple : Celse (au livre 11 de son Digeste), D. 16, 3, 32 : « (...) car quelqu'un qui ne fait pas preuve de la diligence que requiert la nature humaine (...) [c'est-à-dire qui ne comprend pas ce que tout le monde comprend], n'est pas exempt de mauvaise foi [et sera donc responsable] ». - FAUTE LÉGÈRE CONCRÈTE Exemple du contrat de société : Gaius (au livre 2 des « Choses quotidiennes »), D. 17, 2, 72 : « (...) il suffit de faire preuve, pour les affaires communes, de la même diligence que celle dont on fait preuve pour les siennes propres; car qui prend un associé peu diligent ne doit s'en prendre qu'à soi-même. » - FAUTE LÉGÈRE ABSTRAITE (= Bonus Paterfamilias) Exemple : article 1137 C. Nap.: L'obligation de veiller à la conservation de la chose (...) soumet celui qui en est chargé à y apporter tous les soins d'un bon père de famille. RISQUES - CAS FORTUIT Exemple : vol par un voleur isolé. - FORCE MAJEURE Exemples : pillage par une armée, incendie dû à la foudre. Mais ce dernier stade n'est pas typiquement romain: l'idée que la nature peut développer un complexe de forces auxquelles on ne peut résister existe, semble-t-il bien, dans toutes les cultures traditionnelles. 42. 2ème partie : droits post-romains 3.- LES RESPONSABILITÉS « POST-ROMAINES » Que deviennent ensuite ces deux responsabilités ? On se contentera d'un bref survol des grandes périodes historiques : 43. A - Le Moyen-âge Pour la responsabilité délictuelle, on assiste à une résurgence : - de la vengeance collective, « Si un délit est commis, la vengeance (...) est ouverte; il ne s'agit même pas d'une vendetta individuelle, mais d'une lutte de deux groupes familiaux, d'une réaction élémentaire dont l'époque mérovingienne offre maints exemples (...). Sur les 65 titres de la loi salique, 50 contiennent des tarifs de composition; les délits sont énumérés et pour chacun d'eux le montant de la composition est déterminé minutieusement (...). La répression est purement objective et presque mécanique en ce sens que, comme dans l'ancien droit romain, seul le fait matériellement accompli est puni (...). Il est normal que la paix quand elle est conclue aboutisse à une charte (...) : celui qui reçoit la composition promet pour lui et pour ses héritiers, de ne plus rien réclamer à l'avenir et maudit ceux de ses parents qui transgresseraient cette promesse. » (Ourliac et de Malafosse, n°373 s.,p.386 s.). Pour la responsabilité contractuelle, le déclin se marque ici aussi : déjà dans le droit postclassique on voit réapparaître des cas d'exécution forcée sur la personne même du débiteur, qui redevient ainsi, comme dans l'ancien droit romain, un « obligatus », c'est-à-dire un « lié autour du corps » ! De même « dans le très ancien droit (français), c'est la présence du débiteur, son corps, qui répond avant tout de ses dettes : on voit dans le débiteur insolvable un coupable dont le créancier a le droit de se venger. (...) A l'époque mérovingienne, (...) le débiteur devenait esclave du créancier. Mais il ne pouvait pas être mis à mort » (Dumas, p.168 et 170). B - Les Codifications Lors de la rédaction du Code Napoléon, on a rayé toute la période « post-romaine » en revenant aux principes romains. Dans le « Discours préliminaire au projet de Code civil » de Portalis, on décrit toute la matière des contrats et des obligations (comprenant les règles de responsabilités délictuelle et contractuelle) en deux phrases: « Quant aux autres contrats [autres que le contrat de mariage], nous nous sommes réduits à retracer les règles romaines. Sur cette matière, nous n'irons jamais au-delà des principes qui nous ont été transmis par l'antiquité, et qui sont nés avec le genre humain ». La finale est assurément exagérée : ces règles ne remontent pas à l'apparition du genre humain, mais ont dû être inventées à un moment donné, en l'occurrence au début du premier millénaire de notre ère. Le Code Napoléon (et les nombreux autres Codes qui s'en sont inspirés au XIXème siècle) a donc repris la tradition d'une responsabilité fondée essentiellement sur la faute. Certes, il a aussi repris des cas de responsabilité du fait d'autrui ou du fait de certaines choses que l'on a sous sa garde, mais cela restait une responsabilité pour faute: simplement la faute était présumée et il incombait à celui qui était ainsi désigné comme responsable de faire la preuve inverse de l'absence de faute. Dans les cas extraordinaires enfin où la responsabilité était objective (le cas, par exemple, de l'article 1384, al. 3, où les « maîtres et commettants » sont responsables des dommages causés par leurs « domestiques et préposés ») et ne laissait pas de place à la preuve contraire de l'absence de faute, on considérait qu'il y avait là des exceptions, qui ne faisaient que confirmer la règle. 44.C - Le XXème siècle Dès la fin du XIXème siècle, mais surtout au XXème, trois des fondements du système romain de responsabilité ont été remis en cause : 1.- RESPONSABILITÉ SUBJECTIVE a) La révolution industrielle a eu un aspect négatif en ce qu'elle a multiplié les sources d'accidents et donc de dommages (il suffit de penser aux machines à vapeur qui explosent !). Cela a créé un conflit entre la liberté proclamée de développer l'industrie et le besoin de sécurité individuelle, particulièrement des travailleurs, exposés aux risques de plus en plus variés d'accidents du travail. C'est effectivement en matière d'accidents du travail qu'un mouvement s'est développé en faveur d'une protection accrue des travailleurs : il leur est en effet malaisé de prouver, en cas d'accident, que celui-ci est dû à la faute du patron et non à celle d'un tiers (compagnon de travail) ni à leur propre négligence : les règles de responsabilité subjective peuvent donc rarement les secourir. C'est pourquoi, vers la fin du XIXème siècle (en 1898 en France) ou au début du XXème (en 1903 en Belgique), sont adoptées des législations sur les accidents du travail qui instaurent une responsabilité du patron en cas d'accident du travail : responsabilité sans faute du patron, mais qui limite la réparation du dommage à un forfait indépendant du préjudice réel subi. b) Dans les décennies suivantes, un nouveau risque majeur fait son apparition : celui causé par l'accroissement de la circulation automobile. Ici non plus il n'est pas toujours aisé de prouver la faute du conducteur ! On voit dès lors les jurisprudences, tant française que belge, se saisir d'un texte insipide, l'article 1384 al.1er du Code civil, pour résoudre ce nouveau problème ou compléter la législation spéciale sur les accidents de travail. Cet alinéa 1er n'avait pas de portée autre, dans l'esprit de ses rédacteurs, que d'annoncer des cas particuliers de responsabilité : « On est responsable », dispose-t-il, « non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre » (annonce de la responsabilité des parents, instituteurs, maîtres et commettants), « ou des choses que l'on a sous sa garde »(annonce de la responsabilité du gardien d'un animal et de celle du propriétaire d'un bâtiment en ruine). Mais du passage « ou des choses que l'on a sous sa garde », les jurisprudences ont tiré en France et en Belgique (et avec des nuances pour chaque pays) un système de responsabilité sans faute dont le gardien de la chose qui a causé dommage ne peut s'exonérer qu'en prouvant la force majeure ou le fait d'un tiers. Bref, on a rétabli, en plus de la responsabilité pour faute (qui subsiste), un système très étendu de responsabilité sans faute, c'est-à-dire de RESPONSABILITÉ OBJECTIVE. 2.- RESPONSABILITÉ INDIVIDUELLE Comment ce renforcement considérable du domaine de la responsabilité a-t-il pu être admis et intégré par les agents économiques ? a) En ce qui concerne les accidents du travail, les patrons ont dû intégrer la charge de leur obligation de réparation dans leur coût de production, avant que le système ne se collectivise d'une autre manière dans des organismes de sécurité sociale. b) En ce qui concerne les accidents de la circulation, la solution est venue de l'assurance obligatoire des conducteurs. Et ils ont été dès lors d'autant plus facilement condamnés à réparer les dégâts que l'on savait que ce n'était pas eux-mêmes qui les paieraient, mais leur compagnie d'assurance... lesquelles ont naturellement répercuté ces décaissements croissants en augmentant les primes à payer par leur clients. On peut encore ajouter que dans les cas où les assurances ne paient pas, parce qu'il s'agit de sinistres catastrophiques, l'État (c'est-à-dire tout le monde) a pris le relais par le biais de Fonds de garantie, de solidarité, de catastrophes ou de calamités. Et l'on comprend ainsi qu'une bonne part de la RESPONSABILITÉ est redevenue COLLECTIVE, un peu comme dans les sociétés dites « traditionnelles » ! 3.- CONFLITS RÉGLÉS PAR UN ARBITRE Notre siècle a redéveloppé une troisième « nouveauté » : c'est qu'il est des conflits qui ne peuvent être réglés par des principes de droit, parce que le droit n'a rien à y faire ! Est-il juste – ou juridique ou légitime ou légal – que les travailleurs gagnent ou non dix francs de plus à l'heure ? Poser le problème en terme de « droit » serait vain ou absurde, car il est évident qu'ils se sont engagés à travailler pour dix francs de moins... : ils n'ont donc qu'à continuer, puisque la convention « fait la loi des parties ». Mais ce serait alors nier toute possibilité d'évolution. Bref, pour apaiser ces conflits, on a découvert qu'il valait parfois mieux faire appel, non à un arbitre, mais à un « conciliateur » ou « médiateur social ». Mais qu'est-ce d'autre, en définitive, qu'un équivalent moderne du « chef à la peau de léopard » des Nuer traditionnels ? On a ainsi réinventé ce que les anthropologues juridiques appellent des « procédures alternatives de règlements des conflits » (Rouland, n°246 ss.,p.444 ss.). 45. 4.- CONCLUSIONS A.- en matière de relations sociales, c'est bien souvent avec du vieux qu'on fait du neuf : il n'est dès lors pas inutile de contempler les anciennes structures de pensées: elles peuvent avoir des choses à nous apprendre... Ou, pour l'exprimer de manière plus précise et plus savante: « L'anthropologie juridique (...) part du principe qu'une connaissance conjointe des systèmes juridiques traditionnels et modernes est indispensable à la constitution d'une authentique science du Droit. » (Rouland, coll. « Que sais-je ? », p.6). B.- « Rien n'est jamais acquis à l'homme, ni sa force, ni sa faiblesse, ni son coeur »... ni son droit ! : à la civilisation – comme on l'a vu – peut succéder la barbarie ! C.- Le Droit est équilibre, à protéger sans cesse car sans cesse en péril ! Nous sommes aujourd'hui très riches en systèmes de responsabilités : nous avons en effet simultanément : 1) Un régime de responsabilité objective, englobant de plus en plus de domaines. Cette inflation est accélérée par l'évolution des mentalités, tolérant de moins en moins qu'un dommage puisse ne pas être « réparé ». 2) Un régime de responsabilité subjective, qui non seulement subsiste (alors qu'on s'imaginait, il y a peu d'années encore, qu'il était destiné à être submergé par la responsabilité objective), mais qui, au contraire, continue à se développer. Car on s'est aperçu que de nouveaux « droits » étaient lésés, qu'il fallait protéger : droit au respect de la vie privée, droit à la réputation de solvabilité, droit à la réputation de sérieux, sans parler des cas de plus en plus nombreux de responsabilité médicale, notariale, etc. Et en dehors de textes légaux nouveaux, le recours se fondera le plus souvent sur le texte de base de la responsabilité, celui qui fonde la responsabilité sur la faute. 3) Un « régime » d'irresponsabilité, qu'il ne faut pas perdre de vue. Car quoique le droit puisse imaginer, un nombre statistiquement important de dommages continueront à ne pas être réparés, qu'ils surviennent par infirmité congénitale, maladie, noyade accidentelle dans une baignoire, manque de chance à la « loterie du Palais de justice » (« Lotteria forense », C. Salvi), ou insolvabilité d'un responsable non assuré. 4) Cela fait, en définitive, beaucoup de solutions différentes possibles pour un même dommage. Or, pour citer mon Maître Claude RENARD, « la connaissance claire par chacun des conséquences de ses actes est une condition primordiale de la vie en société ». En d'autres termes, de l'excès de droits risque de naître le non-droit. Mais ceci n'est qu'une autre façon d'exprimer ce qu'avait déjà constaté Cicéron il y a 2000 ans: SUMMUM IUS, SUMMA INIURIA ! : le droit suprême, c'est-à-dire le plus perfectionné, conduit à la suprême injustice ! Il est dès lors compréhensible qu'on entende aujourd'hui en Europe la même plainte que celle qui s'est élevée depuis la Réforme jusqu'au XIXème siècle, en faveur d'une plus grande « SIMPLICITAS », d'une plus grande simplicité du système juridique. Rappelons la remarque de l'empereur et législateur Justinien : « ... Dans les lois, la simplicité nous plaît mieux que la difficulté... » 46. V.- L'art [romain ] d'exploiter « les autres » PRÉAMBULE Partis d'une petite bourgade agricole, les Romains ont progressivement étendu leur domaine sur trois continents et y ont maintenu leur pouvoir durant un millénaire, on l'a vu. Ils ont de plus maintenu dans l'ensemble leur fameuse « Pax romana » (paix romaine) sans que les populations asservies ne se révoltent beaucoup. Voilà qui témoigne d'un sens peu commun de l'organisation et d'un « art » consommé « d'exploiter les autres ». Il peut être intéressant d'étudier cet « art », même si nombre de ses aspects sont évidemment négatifs. Du reste, il convient d'observer que cet « art », ils ont commencé à l'exercer entre eux et c'est pourquoi l'exposé aura deux parties : l'art d'exploiter les autres « romains », d'abord, avant d'exploiter les autres « non-romains ». A.- « LES AUTRES » ROMAINS Ils se sont entr'exploités tant dans leurs relations privées que dans leur organisation politique : 1) Dans leurs relations privées 47. UN SEUL EXEMPLE : LE CONTRAT DE LOCATIO-CONDUCTIO : On se souvient que celui-ci se définit comme un : Contrat par lequel une personne promet à une autre de lui fournir la jouissance d'une chose (locatio rei, louage de chose) ou ses services (locatio operarum, contrat de travail) ou bien d'exécuter un ouvrage déterminé (conductio operis faciendi, contrat d'entreprise), moyennant un prix, fixé en principe en argent, que s'engage à lui verser l'autre partie. Ce contrat unique correspond à trois contrats complètement séparés, régis par trois disciplines devenues distinctes aussi (le droit civil, le droit social et le droit commercial) dans la problématique moderne. Au point que les juristes contemporains, influencés peut-être par le Hollandais Jan Voet, ont nié qu'il puisse s'agir du même contrat en droit romain (ils parlent à ce sujet de la « trichotomie » de la locatio conductio). Pour expliquer cette incroyable unité, on peut au contraire tenter une conjecture : dans la Rome des débuts, vivant d'agriculture et d'élevage, dès qu'un chef de famille avait accumulé, par héritage ou autrement, plus de terres ou de troupeaux que sa famille n'en pouvait exploiter, il fallait bien qu'il fasse appel au travail d'autrui. En achetant des esclaves, mais on sait qu'ils étaient alors peu nombreux. Ou en s'adressant à des hommes libres, pour conclure avec eux des contrats. Mais quels contrats ? A ce paterfamilias illettré, la catégorie juridique importait peu: ayant besoin de main d'oeuvre pour mettre ses biens en valeur, il pouvait, selon les circonstances, soit prendre des esclaves en location (ce serait un louage de chose, locatio rei), soit faire travailler des hommes libres dans le cadre d'un contrat de travail (locatio operarum). Ou encore, lorsque les circonstances ne lui permettaient pas de contrôler lui-même les opérations, confier la tâche à un fermier ou un berger dans le cadre d'un louage de son champ ou de ses pâtures (à nouveau une locatio rei). Dernière possibilité: convenir avec le fermier ou le berger qu'une partie de la récolte ou du croît des animaux lui serait fournie chaque année, formule qui s'apparente au colonat partiaire ou au contrat d'entreprise (locatio operis faciendi). Au-delà des schémas juridiques imaginables, il s'agit chaque fois du même phénomène économique: la mise en valeur d'un bien grâce au travail d'autrui. 48. On pourrait faire des constatation analogues à propos, par exemple, du rôle économique des transports maritimes, des entrepôts, exploités sous le couvert de formules juridiques variées, et de bien d'autres activités. En bref, ce qui fait l'unité de tous ces contrats, c'est qu'ils rendent chaque fois un même service économique. Et les juristes ne sont intervenus que plus tard, pour introduire des distinctions casuistiques dans des phénomènes perçus jusqu'alors comme analogues et indifférenciés. En conclusion, la locatio-conductio romaine apparaît ainsi comme le prototype juridique de l'organisation du travail de l'homme libre. Autrement dit, de l'exploitation contractuelle, par le propriétaire d'un bien, du travail librement consenti par un autre homme, en rapport avec ce bien. UNE ILLUSTRATION : UNE « LOCATION » ÉGYPTIENNE Il est vrai que cette complexité juridique n'est pas typiquement romaine : témoin cette « location » de poterie égyptienne (P. Oxy.,L, 3597) Les éditeurs du papyrus l'intitulent « location », quoique nul loyer ne soit prévu : le locataire s'engage à confectionner et livrer au « bailleur » des quantités déterminées d'amphores pendant toute la durée du contrat. Le « bailleur » mettra les matières premières nécessaires à la confection des amphores à la disposition du potier, lequel s'engage de son côté à fournir la main d'oeuvre. Le « bailleur » pourra surveiller la décoration des amphores, moyennant quoi il les paiera, finalement, selon un tarif fixé conventionnellement. Comme on le voit, c'est tout à la fois une location, un contrat de travail et une entreprise : de quoi déconcerter nos professeurs de droit modernes ! Mais on ne peut reprocher aux Égyptiens antiques d'avoir ignoré des distinctions qui ont probablement été imaginées près d'un millénaire et demi après eux... Ce mode d'exploitation du travail d'autrui n'a donc rien de typiquement romain. Mais ce qui est romain, c'est l'analyse juridique que les jurisconsultes ont fait du phénomène, permettant ainsi ses développements ultérieurs et sa répartition, par les juristes modernes, en trois sous-catégories de louage, telle qu'on la retrouvera, par exemple, dans le Code Napoléon, Livre III, Titre VIII, DU CONTRAT DE LOUAGE : CHAPITRE II, Du Louage de choses CHAPITRE III, Du Louage d'ouvrage ou d'industrie
49. 2) Dans leur organisation publique Le Droit romain a atteint sa perfection au cours de deux périodes politiques, la République et le Principat : a) RÉPUBLIQUE Une certaine démocratie y régnait, mais elle était structurée de manière particulière, ainsi que le démontre la composition d'une des assemblées populaires, les COMICES CENTURIATES
Comme ces centuries votaient, non pas toutes ensemble, mais dans l'ordre des Classes et que la 1ère Classe, avec ses 98 voix, détenait à elle seule la majorité, les Classes suivantes ne votaient effectivement que s'il y avait des dissensions dans la classe dominante. Quant aux « proletarii », ils ne votaient jamais. Le régime était ainsi d'essence ploutocratique, les plus fortunés détenant l'essentiel du pouvoir. Il est juste d'ajouter qu'en cas de guerre, l'effort à fournir par les différentes classes était proportionnel à leur poids politique; les prolétaires en étaient donc dispensés, ce qui rétablit une certaine équité dans le système (C. Nicolet). 50. b) PRINCIPAT A partir d'Auguste, les pouvoirs qui, sous la République, étaient répartis entre les différents magistrats (pouvoirs politiques aux consuls; moraux aux censeurs; religieux aux pontifes et juridiques aux préteurs), seront progressivement concentrés en mains du « Prince », lequel disposera ainsi d'un régime de plus en plus dictatorial, jusqu'à ce que Rome finisse par sombrer dans l'anarchie et la dictature militaire dans la 2ème moitié du IIIème siècle. Il est superflu de constater que plus que jamais, l'exploitation des Romains par des Romains y sera de règle ! 51. B.- « LES AUTRES » NON-ROMAINS Mais entre-temps, c'est évidemment vis-à-vis des provinciaux que l'« art romain » d'exploiter les autres s'est le mieux développé. Il fallait toutefois que des conditions préliminaires soient réunies dans plusieurs domaines : PRÉLIMINAIRES: 1°- militaires Pour conquérir d'autres peuples, il faut - cela va sans dire - un art militaire supérieur au leur. Les Romains l'avaient, de toute évidence, comme ils disposaient d'une diplomatie efficace (c'est-à-dire faite souvent de duplicité et de perfidie), laquelle remplace la guerre avec d'autres moyens. 2°- idéologiques Pour conquérir d'autres peuples, il faut aussi que le peuple conquérant soit animé d'une idéologie adéquate, c'est-à-dire: a) reposant sur une échelle de valeur au sommet de laquelle trône le héros : un homme prêt à sacrifier sa vie pour la pérennité et la gloire des siens. b) imprégnée d'une bonne dose d'impérialisme, c'est-à-dire de « cette manière de penser et d'agir d'un peuple qui prétend se subordonner les autres », et qui « exprime, en un mot récent, tiré du latin, une très ancienne chose : c'est, au vrai, une création de Rome antique » (J.Carcopino). Et il est bien vrai que toute la civilisation romaine reposait sur cette bonne conscience vis-à-vis des peuples vaincus : témoignages de Denys d'Halicarnasse, Cicéron et Gaius. 3°- juridiques Une fois un territoire conquis, il convient de le doter d'un statut juridique qui mette le conquérant à l'aise, à l'abri des contestations des autochtones. Mais nous avons déjà vu dans le troisième exposé que tel était bien le cas : Rome s'emparant de la propriété des territoires envahis, ne laissait aux populations locales que ce qu'il est convenu d'appeler la « propriété provinciale », c'est-à-dire une simple permission d'occupation. 52. Ces préliminaires étant réunis, il s'agit maintenant d'exploiter les populations conquises. Les techniques varient selon qu'on a laissé la liberté à ces peuples ou qu'on les a réduit en esclavage : 1) Restés LIBRES Parmi ceux-ci, il convient encore de distinguer selon qu'on les a laissé vivre dans leur province ou qu'on les a enrôlés dans les légions romaines : a) Vivant dans leurs provinces 1°) Régime juridique Contrairement aux autres conquérants de l'Antiquité (et des temps modernes...), les Romains imposaient même leur droit privé aux peuples conquis. Sans doute était-ce là une preuve de leur sentiment de supériorité en matière juridique ! 53. 2°) Exploitation fiscale Les provinciaux étaient en outre soumis à une exploitation fiscale de la part de leur vainqueur, par l'intermédiaire des sociétés de publicains. Celles-ci achetaient, dans des ventes aux enchères, le droit de percevoir des impôts dans les provinces. Ce droit était « affermé » au plus offrant (le manceps). La société était représentée à Rome par un magister, lequel avait en province des correspondants, les promagistri, à la tête d'associés, les socii, dirigeant du personnel subalterne à statut variable, allant du riche colonisateur romain au plus humble esclave. Ces societates publicanorum, dotées d'un patrimoine propre (l'arca), avaient pour fonction de percevoir des impôts divers (impôts fonciers, tout d'abord, droits de douane, taxes sur les esclaves, sur les chevaux, sur la bière). Elles exploitaient aussi des mines, soit directement, soit indirectement par l'intermédiaire de sous-traitants et se permettaient parfois d'imposer des surtaxes illégales : pour frais de fouille des navires, frais de bureau (taxes abolies par l'empereur Néron... !). En bref, elles constituaient les ancêtres de nos sociétés multinationales. Leur profit résultait de la différence entre ce qu'elle avaient payé à l'Etat romain et ce qu'elles percevaient effectivement des contribuables provinciaux. Rien d'étonnant donc si les « Publicains » avaient mauvaise réputation... ! 54. 3°) Exploitation financière Les provinciaux subissaient enfin une exploitation financière bien connue: de riches Romains leur prêtaient de l'argent à des taux usuraires, et en cas de non remboursement, les légionnaires étaient parfois appelés à la rescousse. Témoignage de Cicéron. EXEMPLE : ACTIO METUS Un indice caractéristique des cette exploitation se trouve, sur le plan juridique, dans le régime de l'actio metus, ancêtre de notre vice de violence. Lorsque l'on contraint quelqu'un à passer un contrat sous la menace d'une violence grave, notre droit, à l'image du droit romain, décide que le contrat est nul. A Rome, ce délit était même sanctionné par la peine du quadruple. Mais la formule de l'actio metus était munie de ce que l'on appelle la formula arbitraria : « ... et si ces fonds (qui ont été extorqués!) ne sont pas restitués conformément à ton arbitrage, juge... », ce qui fait que, au pire, l'auteur de l'extorsion (c'est-à-dire, le plus souvent, le Romain dominateur) risquait... de devoir rendre ce qu'il avait extorqué ! (M. Kaser). 55. b) Enrôlés comme légionnaires Avant de devenir des « vétérans », il leur fallait faire un long service militaire (il variait, selon les époques, entre 16 et 30 ans). Mais après, que de récompenses, constituant autant d' « incitants à l'héroïsme » ! Les « diplômes militaires » qui leur étaient décernés lorsqu'ils devenaient émérites (emeriti), nous apprennent qu'on leur donnait fréquemment : - le droit de cité, c'est-à-dire la citoyenneté romaine;
EXEMPLE : DIPLOMA MILITIS PRAETORIANI. 2) Devenus ESCLAVES et donc « hommes-objets » a) en tant qu'OBJETS I.- Les esclaves dépendaient de leur maître, qui avait sur eux un droit de vie et de mort. Mais c'était une règle banale dans l'Antiquité:”chez tous les peuples”, explique le Professeur Gaius (1, 52) à ses étudiants, « le maître a sur les esclaves la puissance de vie et de mort ». Cela leur paraissait normal, puisque, expliquaient sans rire certains jurisconsultes, le mot même d'esclave (servus) vient de servare, conserver: ce sont des vaincus à qui, par bonté d'âme, les Romains ont conservé la vie, alors qu'ils auraient pu les tuer : D. 1, 5, 4,2 FLOR. (9 INST.) Il est vrai aussi qu'à partir du IIème siècle de notre ère, des mesures furent prises pour ne plus « gaspiller » les esclaves (qui devenaient plus rares). Gaius, 1, 53: « Mais de nos jours, il n'est permis ni aux citoyens romains ni à aucun de ceux qui se trouvent sous l'empire du peuple romain (donc les provinciaux) de sévir outre mesure et sans motif contre les esclaves. Car en vertu d'une constitution de l'Empereur Antonin, qui tue sans motif son propre esclave est passible de sanction (...) ». II.- En tant qu'objets appartenant ainsi à leur maître, les esclaves étaient astreints à de multiples activités matérielles réparties du haut en bas de l'échelle sociale: (précepteurs de grec ou de philosophie, ouvriers agricoles, mineurs, gladiateurs etc. ). Certaines et certains servaient enfin de divertissements sexuels. On connaît la réflexion de Sénèque le philosophe, qui prônait pourtant le traitement humain des esclaves: « L'impudicité de la part d'un ingénu (c'est-à-dire d'une homme né libre) est un crime, de la part d'un esclave une nécessité, de la part d'un affranchi un devoir ». 56. b) en tant qu'HOMMES Mais c'est surtout en les traitant comme des « quasi-hommes », c'est-à-dire en leur permettant, par toutes sortes d'artifices, une activité juridique, que les Romains ont surtout fait preuve d'ingéniosité et se sont montrés de prodigieux exploiteurs. Ils ont intégrés leurs esclaves dans le circuit juridique à trois niveaux. Et tout d'abord en les considérant, selon l'expression célèbre, comme: 1 ) « instrumentum vocale » En tant que « voix de son maître », l'esclave pouvait valablement conclure des contrats et même acquérir un bien pour son maître. Si on se remémore de quelle manière on acquérait un bien à Rome, notamment par une Mancipatio, on pouvait donc voir un esclave, par exemple un Numide d'Afrique, proclamer le plus naturellement du monde « J'affirme que cet homme (c'est-à-dire cet esclave, que le Numide est en train d'acquérir) m'appartient en vertu de droit des Quirites ». Alors que le droit des Quirites est un droit typiquement romain ! Mais le Numide, appartenant par hypothèse à un Romain, n'est plus numide: il est une chose romaine, donc il est romain et peut utiliser des formules réservées aux Romains. 57. 2 ) débiteur d'une obligation naturelle Un esclave pouvait aussi faire des dettes en son propre nom, dettes que l'on appelait « obligations naturelles », parce que son créancier ne pouvait pas en poursuivre le paiement en justice, ni poursuivre le maître de l'esclave, mais que si celui-ci remboursait volontairement ce qu'il devait, toute l'opération était considérée comme valable. Mais pourquoi le créancier aurait-il pris un tel risque : prêter de l'argent à quelqu'un en sachant qu'il ne pouvait le forcer à rembourser ? Tout simplement parce que la dette de l'esclave pouvait être garantie, notamment par une caution, laquelle était un citoyen romain poursuivable, lui. Le créancier ne risquait donc pas grand'chose. 3 ) titulaire d'un pécule C'est enfin en tant que titulaires de pécules que l'on a permis aux esclaves de participer pleinement à la vie juridique et donc à l'activité économique : a) notion Le pécule est un bien ou un ensemble de biens (par exemple une boutique) remis par le père de famille à une personne qui dépend de lui (un fils ou un esclave) et qui en a l'usage et l'administration. Les biens qui composent le pécule restent, en droit, la propriété de ce paterfamilias, mais ils forment une entité distincte dotée d'un statut particulier. Ce système fonctionnait dans les secteurs d'activités les plus divers : on trouvait des esclaves banquiers, intendants, capitaines de navire, et leur pécule leur permettait d'acheter notamment... d'autres esclaves, qu'ils faisaient travailler pour leur compte. On appelait un « esclave d'esclave » vicarius (vicaire), pour les distinguer de leur maître appelé ordinarius (ordinaire). b) fonctionnement Lorsque l'esclave gérant le pécule fait des dettes, le maître de l'esclave répond de ces dettes, mais uniquement dans les limites de la valeur du pécule (un peu comme si ce pécule était une société commerciale aujourd'hui). En sens inverse, lorsque l'esclave vend des marchandises et devient créancier, c'est son maître, en cas de contestation, qui pourra réclamer la somme au débiteur. Mais les sommes ainsi obtenues retourneront en principe au pécule. « En principe », car pour le maître, le pécule fonctionne un peu comme un placement révocable : à tout moment il peut le reprendre à son esclave. c) utilité Pour le maître, ce système de pécule était éminemment utile: 1) L'esclave ne coûtait plus rien à son maître et lui procurait au contraire un revenu fixe ou une participation dans les bénéfices... ou les deux à la fois. Quelle aubaine pour l'esclave ! Et que ne ferait-on pas pour devenir libre! Il fallait seulement se presser, pour réunir la somme avant le décès ! Et comment y parvenir, si ce n'est en exploitant le travail des vicarii, les sous-esclaves ? 58. C.- CONCLUSIONS Ainsi, les Romains, à côté de leurs nombreuses qualités, avaient aussi les défauts de ces qualités : leur sens de l'organisation, ils l'ont mis au service de leurs intérêts dans l'exploitation des peuples conquis et tout particulièrement de leurs esclaves. Sans doute, « (...) contrairement aux esclaves noirs des plantations d'Amérique, soumis dans leur quasi-totalité aux durs travaux agricoles, les esclaves des Romains constituent, à côté des hommes libres, une véritable hiérarchie parallèle, avec ses « parvenus » et ses « exclus ». Toutefois, « si l'esclave privilégié est en soi le signe d'une mobilité sociale au sein du groupe servile, cette mobilité ne doit pas faire illusion. Elle va dans l'intérêt bien senti des propriétaires d'esclaves. Permettre à certains esclaves de s'enrichir, les doter d'un pécule à faire fructifier en vue d'obtenir la liberté, les aider à franchir les échelons de la hiérarchie sociale, c'est non seulement contribuer à la rentabilisation de leur activité, c'est aussi stimuler chez eux le respect de la société établie. » (M. Morabito). Aujourd'hui, l'esclavage est officiellement aboli. J'ai l'impression, parfois, que nous sommes de dignes successeurs des Romains. Notamment sur le plan juridique... 59. Documents utilisés I.- Naissance d'un droit privé européen |