AVANT-PROPOS
Marc COOLS, professeur au département de criminologie de la Vrije Universiteit Brussel et au département de droit pénal et de criminologie de l’Universiteit Gent.
Emmanuel DEBRUYNE, assistant de recherche à l’Université Catholique de Louvain.
Veerle PASHLEY, chercheuse au département de criminologie de la Vrije Universiteit Brussel.
David STANS, assistant de cours à l’ESU - Université de Liège.
Introduction
C'est pour nous un honneur et un plaisir de prendre la parole en guise d'introduction à ce premier numéro des Cahiers inlichtingenstudies – Cahiers des études de renseignement – Journal of intelligence studies. Ces nouveaux cahiers sont le résultat de l'engagement d'un certain nombre de praticiens et d'universitaires qui mettent en avant l’intérêt scientifique de ce large domaine de recherche que représentent les études de renseignement.
A l’occasion du 175e anniversaire de la Belgique en 2005, les mondes scientifique et du renseignement - sous l'impulsion de Laurette Onkelinx, alors vice-première ministre et ministre de la Justice, et de Koenraed Dassen, alors Administrateur-général de la Sûreté de l'État – ont souhaité donner un nécessaire écho scientifique à la décision du gouvernement provisoire du 15 octobre 1830 de créer la fonction d’Administrateur de la Sûreté publique. C’est dans cet esprit qu’a pris corps l’ouvrage scientifique bilingue De Staatsveiligheid. Essays over 175 jaar Veiligheid van de Staat – La Sûreté. Essais sur les 175 ans de la Sûreté de l'Etat (Cools, Dassen, Libert & Ponsaers, 2005). En parallèle, Bruxelles a accueilli une exposition unique consacrée aux 175 ans de la Sûreté de l’Etat, qui a bénéficié de l’intérêt d’un vaste public. La mise en place d'une BISA, ou Belgian Intelligence Studies Association, dotée d’un bulletin d’information académique et indépendant, comme soutien logique à ces mêmes initiatives, ne s’est malheureusement pas pérennisée. Seuls une journée d’étude, un travail scientifique (Petermann, Claes, 2005) et un unique numéro du bulletin (Petermann, 2004) ont vu le jour dans le cadre de la BISA.
Dans cette optique, on peut d’emblée affirmer que son successeur de facto, à savoir le BISC ou Belgian Intelligence Studies Centre, rédacteur de ces nouveaux cahiers, a démarré sous des auspices favorables. La création du BISC n’aurait pas été possible sans le soutien de la communauté du renseignement, elle-même, d’une part, et de l’autre sans le monde académique. C’est à ce premier groupe enthousiaste que nous adressons, avant tout, nos remerciements personnels, ainsi que notre estime et notre reconnaissance scientifique. Pour les citer dans un ordre purement alphabétique, il s’agit de Hans D'hont, Raymond Dory, Frank Franceus, Patrick Leroy, Robin Libert, Guy Rapaille, Nathalie Roegiers, Alain Segers et Alain Winants, respectivement membres de l’Ecole de Renseignement et Sécurité, de l'Institut royal supérieur de Défense, du Comité permanent de Contrôle des Services de Renseignement et de Sécurité, du Centrum voor Politiestudies, du Service général du Renseignement et de la Sécurité, et de la Sûreté de l’Etat.
Les études de renseignement : un cadre théorique scientifique
La communauté du renseignement joue un rôle crucial dans le maintien de notre société démocratique et de l’exercice par tous les citoyens de leurs droits et de leurs libertés. Dans ce contexte, il est évident que les services secrets sont au cœur des études de renseignement. La recherche dispose pour ce faire d’un quadruple cadre. En premier lieu, la « communauté belge du renseignement » peut être envisagée dans sa dimension historique, qui nous permet à la fois de rendre compte de son évolution dans le temps et d’enrichir notre appréciation des situations contemporaines. Etienne Verhoeyen (Verhoeyen, 2011, 19) a mis en évidence la manière dont plusieurs pays, et notamment la Belgique, rendent accessible à la recherche un nombre croissant de matériel archivistique. Cette évolution positive permet de saisir la communauté du renseignement à travers un horizon historique élargi. En deuxième lieu, il importe de situer le cadre juridique dans lequel opèrent les services de renseignement et de sécurité. A cela s’ajoute la nécessité de prendre la mesure de leur cadre de fonctionnement. Et, « last but not least », il est également nécessaire de les envisager dans une perspective scientifique sociale et administrative.
Nous pouvons aussi exprimer l'espoir que des publications, nombreuses et pointues, verront encore le jour. Le temps est désormais révolu où l’image des services était celle d’institutions invisibles et refermées sur elles-mêmes. Dans une démocratie qui fonctionne correctement, l’Etat se doit d’organiser sa sécurité aussi efficacement que possible, mais la manière de mener à bien ce projet doit faire l’objet d’un véritable débat de société (Cools & Ponsaers, 2010).
Le Belgian Intelligence Studies Center
Le Belgian Intelligence Studies Center fonctionne à la manière d’un groupe autonome au sein de l’asbl Centrum voor Politiestudies, à l'assemblée générale duquel il dispose d’un représentant. Dès le départ, le pli a été pris de donner un caractère belge à la forme et au contenu du BISC. Il en résulte que tout le monde s’y exprime, oralement comme par écrit, dans sa langue maternelle et dans la reconnaissance de celles d’autrui. Par conséquent, le BISC connaît plusieurs langues de travail, qui se retrouveront dans les dénominations usitées : Cahiers inlichtingenstudies – Cahiers des études de renseignement – Journal of intelligence studies.
Le BISC organisera chaque année deux journées d’étude autour de thématiques relatives aux études de renseignement telles qu’envisagées ci-dessus. La première s’est déroulée à Bruxelles dans les locaux de la Sûreté de l’Etat, autour du thème « Services de Renseignement et de Sécurité : histoire et perspectives », et la seconde, intitulée « Renseignement et éthique : oxymore ? », à l’Ecole royale militaire, également à Bruxelles.
Cahiers inlichtingenstudies – Cahiers des études de renseignement – Journal of intelligence studies
L'objectif de ces cahiers est de faire de la communauté belge du renseignement un objet de réflexion et de discussion. Dans ce premier numéro, nous avons délibérément choisi de livrer les communications d’un certain nombre d’orateurs de nos journées d’étude. Nous élaborerons pour la suite des numéros thématiques. Les interventions proposées dans le présent volume concernent principalement les rapports entre éthique et renseignement.
Bien que les services de renseignement, de même que la manière dont ils sont contrôlés, soient soumis à un encadrement juridique, les choix auxquels ces organisations sont confrontées dans certaines situations sont loin d'être évidents. Il est dès lors pratiquement impossible, et sans doute guère souhaitable, de définir des directives contraignantes pour chaque circonstance où émergent des dilemmes moraux (Baarda & Verweij, 2010, 17). Dans ce contexte, l’éthique peut à juste titre être décrite comme « un mode de raisonnement pour affronter les dilemmes » (François & Pichevin, 2011, 7). Elle interroge en profondeur les situations où doivent primer la fiabilité et le jugement moral.
La thématique « éthique et renseignement » est envisagée dans ce premier numéro à travers la création d’un cadre théorique général, une discussion des « bonnes pratiques », la position de l’éthique dans le contrôle des services de renseignement, et le rôle de l’éthique dans les relations entre journalisme et renseignement. Ces différentes approches se traduiront par autant d’articles.
En guise de première contribution, Carl Ceulemans soulève la question de l’existence d’une « théorie du renseignement juste » (TRJ). L'auteur prend pour cadre de référence la « théorie de la guerre juste », telle qu’élaborée au sein de la discipline de l'éthique militaire. Ses conclusions sont ensuite mises à l’épreuve d’un cas concret. A son tour, Frank Franceus part dans sa contribution à la recherche d’un cadre pour les services de renseignement. Evoquant les « bonnes pratiques » définies par le United Nations Human Rights Council, il les applique à la situation belge. Patrick Leroy et Béatrice Abondo questionnent quant à eux la relation entre « Human Intelligence » et diplomatie, et envisagent la pratique de l’espionnage dans ses rapports avec l’éthique. C’est ensuite la question du contrôle des services de renseignement qui est discutée par Guy Rapaille. Dans son article « Le contrôle des services de renseignement est-il ou doit-il être éthique? », il interroge la dimension éthique que revêt ou devrait revêtir cette fonction. Enfin, Marie-Cécile Royen envisage les services de renseignement au travers de son expérience de journaliste. Sa contribution « Ethique, renseignement et journalisme » discute du rôle que doit jouer l’éthique en cette matière.
Chacune de ces contributions aborde donc la relation « éthique et renseignement » selon son propre cadre de référence. Nous espérons que cet ensemble permettra et suscitera le développement à l’avenir de nouvelles réflexions.