Le sommet entre l'Union européenne et les pays de la Communauté des Etats d'Amérique latine et des Caraïbes s'est achevé jeudi. Dans le continent sud-américain, la Chine supplante les Européens et devient un partenaire incontournable.
Les dirigeants de la Communauté des Etats d'Amérique latine et des Caraïbes (Celac, 33 pays) qui ont participé au sommet avec ceux de l'Union européenne (UE) mercredi et jeudi à Bruxelles ne sont pas rentrés pas les mains vides. En deux jours, les Vingt-Huit se sont engagés à financer divers programmes (infrastructures, développement durable, télécommunications, petites et moyennes entreprises, environnement) pour un montant de 800 millions d'euros sur cinq ans. De plus, Bruxelles ouvre la voie aux étudiants et chercheurs sud-américains aux programmes Erasmus et Horizon 2020. L'Union a aussi décidé d'exempter les ressortissants colombiens et péruviens de visa pour voyager dans l'espace Schengen.
Une telle générosité faite au nom des relations historiques et d'un avenir commun face à de nombreux défis mondiaux (changement climatique, immigration, insécurité) ne cache toutefois pas une réalité: l'érosion de l'influence européenne en Amérique du Sud au profit de nouveaux acteurs comme l'Inde, la Corée du Sud, mais surtout la Chine.
A l'issue du sommet, les présidents du Conseil européen, Donald Tusk, et de la Commission, Jean-Claude Juncker, ont les deux souligné avec force que l'UE tient à consolider ses relations avec la Celac, notamment en contribuant au développement économique de cette partie du monde. Mais aux yeux de Sebastian Santander, professeur d'économie politique à l'Université de Liège (Belgique), les 800 millions d'euros qu'offre l'UE ne permettront pas de marquer une forte présence. «C'est du saupoudrage, ironise-t-il. Car, durant la même période, la Chine y consacrera plusieurs milliards. Rien qu'en 2014, les investissements chinois en Amérique latine ont atteint 20 milliards de dollars.» Dans l'ensemble toutefois, les Européens restent les premiers investisseurs avec un total de 385 milliards d'euros.
Outre la forte présence des Asiatiques, la marginalisation de l'UE en Amérique du Sud a encore d'autres raisons. «Tous les pays européens n'y ont pas les mêmes intérêts, poursuit le professeur liégeois. Pour des raisons historiques et culturelles, l'Espagne, le Portugal et, dans une moindre mesure, l'Italie sont les meneurs. L'Allemagne, la France et les Pays-Bas sont intéressés surtout par le commerce, alors que les nouveaux membres de l'Union - ceux de l'Est - n'ont aucun lien avec ce continent.»
Pour le professeur Santander, si l'Europe perd pied en Amérique du Sud, mais aussi dans d'autres continents, c'est qu'elle est phagocytée par ses propres problèmes internes et externes depuis au moins une décennie. «La crise institutionnelle, la crise économique et sociale et l'élargissement laissent peu d'énergie à consacrer au monde extérieur», analyse-t-il. Sebastian Santander rappelle que l'Union a mis en place plusieurs plateformes de dialogue politique avec la Celac, mais le soufflé est tombé très vite. Par ailleurs, les pays d'Amérique latine ne sont pas homogènes, ce qui a pour conséquence que les initiatives européennes peinent à se concrétiser. Par exemple, le projet de créer une zone de libre-échange avec le Mercosur (Brésil, Argentine, Venezuela, Uruguay, Paraguay et Bolivie) est en panne depuis plusieurs années. A ce propos, Jean-Claude Juncker a annoncé hier son intention de le relancer.
Les dirigeants européens n'ont pas évoqué le facteur chinois lors du sommet. Mais les faits sont là. Pékin dispose d'une réserve de guerre de 3800 milliards de dollars, ce qui lui permet d'investir massivement là où ses intérêts stratégiques sont en jeu. En mai dernier, le premier ministre chinois Li Keqiang a donné le coup d'envoi d'une ligne ferroviaire de 5300 km traversant les territoires brésilien et péruvien à travers l'Amazonie et la Cordillère des Andes, ce qui facilitera le transport des matières premières nécessaires à la Chine. Cette «route de la soie» en Amérique latine coûtera entre 10 et 30 milliards de dollars et devrait être inaugurée en 2020. Au fils des années, certains pays sont devenus dépendants de la Chine. Le Paraguay, par exemple, écoule 50% de sa production de soja sur le marché chinois.
«L'Europe ne doit toutefois pas baisser les bras, déclare Sebastian Santander. Elle doit s'associer avec d'autres régions du monde, comme elle le fait avec le projet d'accord transatlantique de libre-échange avec les Etats-Unis, si elle veut encore peser dans la gouvernance du monde.»