Le Venezuela est face à une crise politique profonde qui se double d’une crise économique et sociale aiguë et d’un bras de fer diplomatique mondial qui envenime davantage les choses. La situation interne se détériore d’année en année. La société vénézuélienne est fort clivée. Gouvernement et opposition sont dans une surenchère constante et grandissante. Ce conflit remonte déjà à l’époque du gouvernement de Chavez (1999-2013) dont le projet politique et socio-économique de gauche provoquait un rejet absolu dans l’opposition au point que certaines forces conservatrices du pays iront jusqu’à fomenter un coup d’État (2002) contre le Président, qui finira par échouer.

La malédiction du pétrole

Les politiques sociales chavites viseront à développer un système de soins de santé gratuits à destination des plus démunis ainsi que des missions favorisant l’accès à l’éducation ou la mise en place, dans les quartiers populaires, de magasins subventionnés fournissant des produits alimentaires à prix cassés. Ces politiques sociales, financées par le pétrole, feront chuter le taux de pauvreté entre 2003 et 2010. Mais l’argent du pétrole servira aussi des objectifs clientélistes et népotistes alimentant la corruption qui existait déjà avant le chavisme. En outre, le Venezuela, qui détient les plus grandes réserves de pétrole au monde, ne profitera pas du cours élevé du baril pour entretenir ses infrastructures pétrolières, diversifier son économie et développer une industrie nationale. Résultat : le pays importera presque tout de l’étranger et devra raffiner son pétrole aux États-Unis (ÉU). La malédiction du pétrole ne s’arrêtera pas là : l’État qui tire plus de 90 % de ses revenus du pétrole sera frappé de plein fouet par la chute du prix de l’or noir entre 2014 et 2016, aggravant la situation économique et sociale, et poussant 3 millions de Vénézuéliens à fuir leur pays.

"Rébellion" de l’Assemblée

La crise prend un nouveau tournant en 2015 quand le président Maduro perd les élections législatives. La nouvelle Assemblée nationale décide alors de se déclarer en "rébellion totale" contre le gouvernement chaviste et manœuvre pour que se tienne un référendum révocatoire contre le Président. Ce dernier fait tout pour empêcher le bon fonctionnement de l’Assemblée nationale et incite la Cour suprême, qui lui est acquise, à s’arroger le pouvoir législatif. Quelques mois plus tard, M. Maduro organise des élections législatives pour élire une Assemblée constituante. Ces élections de 2017, qui se déroulent dans un climat de violence meurtrière, sont boycottées par l’opposition et débouchent sur l’établissement d’une Assemblée constituante composée des partisans du Président. L’année suivante, le président Maduro organise des élections présidentielles contestées et désertées par l’opposition, et se fait réélire jusqu’en 2025.

Mais ni l’opposition ni un certain nombre d’États dans le monde ne reconnaissent le résultat de ces élections. Le président de l’Assemblée nationale, Juan Guaidó, s’autoproclame alors président intérimaire en se basant sur plusieurs articles de la Constitution qui considèrent que quand le pouvoir est vacant, il revient au chef du législatif. Bien que cet épisode constitue une énième onde de choc dans le pays, il n’occasionne pas moins une situation rocambolesque puisque le Venezuela se retrouve avec deux présidents dont chacun jouit d’appuis nationaux et internationaux différents.

Bolivie, Cuba et Mexique

Ce bras de fer génère des conflits à l’échelle nationale, continentale et mondiale. Le gouvernement de Maduro est issu du "tournant à gauche" en Amérique latine (AL) qui a lieu entre 2000 et 2015. Durant ces années, le chavisme jouit du soutien de la majorité des pays du continent. Le Venezuela était même devenu l’un des plus ardents défenseurs de la gauche continentale. Mais depuis 2015, l’AL connaît un virage à droite. Le reflux des gauches modifie les rapports de force au détriment du chavisme dont les appuis se limitent dorénavant à la Bolivie, à Cuba et au Mexique. Les nouvelles droites au pouvoir en AL manœuvrent pour isoler le régime chaviste en le suspendant de certaines instances régionales, en refusant de l’inviter à des sommets de chefs d’État et de gouvernement, en refusant de reconnaître le nouveau mandat de Maduro et en appuyant le président autoproclamé.

Ce bras de fer se poursuit à l’échelle mondiale et met aux prises les grandes puissances. Depuis des années, la Russie et la Chine tout comme l’Iran et la Turquie sont à couteaux tirés avec les États-Unis et revendiquent une meilleure redistribution du pouvoir international. Elles se redéploient sur la scène mondiale et (re)prennent pied en AL en développant des relations avec des gouvernements en froid avec Washington. La Russie investit des milliards au Venezuela, lui vend des armes, rééchelonne une partie de sa dette, achemine des bombardiers et organise des exercices militaires conjoints dans la région. La Chine devient le principal investisseur dans la production de pétrole du Venezuela et le premier importateur de matières premières vénézuéliennes. Caracas rembourse d’ailleurs ses dettes à Pékin par l’envoi quotidien de pétrole. Russie et Chine craignent qu’un changement de régime hypothèque leurs alliances et intérêts respectifs dans le pays, et en appellent à soutenir Maduro au nom du "respect de la légalité et du droit international".

Rubio, le sénateur de Floride

Cette présence étrangère au Venezuela préoccupe les États-Unis et accroît l’animosité américaine ambiante contre la Russie et la Chine. L’administration Trump prend appui sur les droites d’AL et sur l’opposition vénézuélienne pour faire vaciller le chavisme. D’ailleurs, J. Guaidó a attendu d’avoir l’appui de l’administration Trump avant de s’autoproclamer président intérimaire. Inspiré par l’idéologie de la Destinée manifeste, les autorités américaines disent vouloir œuvrer en faveur de l’ordre et de la démocratie au Venezuela car ce pays se situe dans leur hémisphère. Mais les États-Unis ont des intérêts économiques en jeu : ils sont le premier acheteur de pétrole brut du Venezuela et fournissent du brut léger à Caracas. Sans compter que de nombreux Vénézuéliens opposés au régime de Maduro ont fui vers la Floride, État du sénateur Marco Rubio, instigateur de la stratégie de reconnaissance de Guaidó.

Une intervention étrangère ?

Ce bras de fer entre grandes puissances débouchera-t-il sur un conflit armé ? En réalité, la Russie et la Chine utilisent le Venezuela pour s’affirmer politiquement face aux États-Unis. Mais ni l’un ni l’autre n’ont intérêt à s’engager dans un conflit armé pour sauver le régime d’un pays lointain. Une intervention militaire américaine est peu probable car elle nécessiterait l’aval du Congrès. Or les Démocrates et une partie des Républicains risqueraient de s’opposer à une telle intervention.

Quels scenarii pour sortir de l’impasse ? Il semble que l’armée vénézuélienne ait un rôle clé à jouer. Pour le moment, elle considère le gouvernement de Maduro comme le seul pouvoir légitime. Toutefois, on sent poindre dans l’armée un certain mécontentement qui jusqu’à présent a été étouffé. Si l’armée venait à se rebeller, on aurait soit un renversement de Maduro, soit une révolution de palais où un chaviste le remplacerait. Une autre éventualité pourrait être l’organisation de nouvelles élections sous la pression internationale et des militaires. Quoi qu’il en soit, l’armée aurait la main. Raison pour laquelle tous les yeux sont tournés vers elle.

Titre et chapeau sont de la rédaction.